En Aïkido, la pratique à genoux – appelée suwari waza – suscite souvent des réactions contrastées. Pour certains, c’est un exercice indispensable qui affine le centrage et développe la discipline. Pour d’autres, c’est une contrainte douloureuse, parfois vécue comme un vestige folklorique éloigné des réalités d’aujourd’hui.

Alors, comment trouver la juste place du suwari waza dans l’Aïkido moderne, sans en faire ni une corvée pour les genoux, ni une pratique folklorique ?

 

Un héritage culturel et technique

                              

Le suwari waza vient d’un Japon où l’on vivait, recevait et parfois combattait assis au sol. Il a été conservé en Aïkido comme un moyen d’approfondir certaines dimensions techniques et culturelles :

  • travailler la stabilité et le centrage en se privant de l’appui des jambes,
     

  • affiner la précision des distances et des axes,
     

  • effacer les différences de taille et de gabarit, puisque chacun pratique à la même hauteur,
     

  • renforcer la discipline et la condition physique, car se déplacer en shikko (marche à genoux) exige un engagement musculaire particulier.
     

Quand la pratique devient une contrainte

                            

Pour autant, le suwari waza n’est pas sans limites :

  • Souffrance articulaire : beaucoup de pratiquants ont des fragilités de genoux (arthrose, blessures, opérations) qui rendent l’exercice difficile, voire impossible.
     

  • Lien avec la condition physique : le poids ou le manque de mobilité accentuent encore la pression sur les articulations. Il ne s’agit pas de blâmer ces pratiquants, mais de rappeler que tous les corps ne peuvent pas vivre l’exercice de la même manière.
     

  • Durée excessive : un temps trop long consacré au suwari waza peut devenir irrespectueux pour les pratiquants, même ceux qui n’ont pas de fragilités particulières.
     

  • Habitudes modernes : nous ne vivons plus assis au sol, et la position prolongée à genoux ne fait plus partie de notre quotidien ni de notre culture occidentale.
     

C’est pour cela que, dans de nombreux dojos, le suwari waza est limité à environ 15 minutes par cours, afin d’en conserver l’essence sans qu’il devienne une source de souffrance.

Pourquoi certains dojos l’ont réduit au minimum

Il arrive aussi que certains dojos n’intègrent presque plus le suwari waza. Cela ne signifie pas forcément un rejet de cette pratique. Bien souvent, c’est lié à la condition physique de l’enseignant lui-même : après des décennies de pratique, de nombreux professeurs ont les genoux fragilisés et ne peuvent plus démontrer ni répéter ces déplacements sans douleur. Dans ce cas, la pédagogie s’adapte par nécessité, sans remettre en cause la valeur technique du suwari waza.

Un exercice obligatoire aux passages de grade

Malgré les débats, le suwari waza reste un exercice exigé lors des passages de grade. Les candidats doivent montrer qu’ils savent attaquer, chuter et exécuter des techniques à genoux. C’est une manière de vérifier que cette part du patrimoine technique est maîtrisée, au même titre que le travail debout (tachi waza) ou assis face à un partenaire debout (hanmi handachi).

Garder le sens, éviter les excès

                          

Alors, faut-il supprimer le suwari waza ? Probablement pas. Certes, ce n’est pas l’exercice le plus « efficace » dans une optique d’autodéfense en situation réelle. Mais si l’on posait cette exigence à toute l’Aïkido, beaucoup d’autres aspects de la discipline disparaîtraient.

Le suwari waza garde du sens parce qu’il incarne la diversité de la pratique et qu’il invite à travailler des qualités autrement difficiles à développer : mobilité des hanches, centrage, discipline, humilité face à l’inconfort.

La question n’est donc pas de l’abolir, mais de l’adapter :

 

  • réduire le temps de pratique pour respecter les corps,
     

  • rappeler son intérêt culturel et technique,
     

  • l’utiliser comme un outil de progression, pas comme une punition.
     

Conclusion

Le suwari waza n’a sans doute plus la place centrale qu’il occupait autrefois, mais il reste une richesse de l’Aïkido. Trop pratiqué, il devient une corvée pour les genoux ; supprimé totalement, il appauvrit la diversité de la discipline.

Entre ces deux extrêmes, il existe une voie d’équilibre : continuer à pratiquer à genoux, avec mesure, respect et adaptation. Car c’est aussi cela, l’esprit de l’Aïkido : faire vivre l’héritage sans l’imposer, et cultiver l’harmonie jusque dans l’inconfort.

Yéza Lucas

Elève à l’ACSP

Fondatrice du blog Aikido Millennials